La rencontre avec l’approche transformative des conflits questionne ma pratique de médiateur à un endroit précis : l’autodétermination des parties, le fait de mener la conversation comme elles l’entendent.
Le médiateur devient une ressource pour l’échange et l’empowerment de chacun.
Lors d’une intervention au rassemblement des luttes paysannes en 2023, alors que je présentais la médiation que je pratique, basée sur la communication non violente, j’avais été frappé par la perception de certain.e.s participant.e.s qui y voyaient un outil d’oppression systémique. Cette remarque avait ouvert un chapitre de réflexions critiques sur ma pratique. Avec la découverte de la médiation transformative, grâce à Damien d’Ursel, j’ai l’impression de le clore et de trouver les éléments pour faire évoluer ma pratique et gagner en cohérence avec mes valeurs de respect de l’intégrité des personnes, d'autonomie et de confiance dans leurs ressources.
Pour le Larousse, le conflit est une violente opposition de sentiments, d’intérêts, d’opinions. Les approches traditionnelles de médiation visent donc à lever l’opposition en conduisant un processus permettant de déboucher sur un accord ou une entente.
Dans l’approche transformative, le conflit est vu comme une crise de l’interaction entre deux personnes ; ainsi, le rôle du médiateur est de créer un espace qui contribue à la restauration de l’interaction. L’idée centrale est de créer les conditions de l’empowerment des personnes (c’est-à-dire de retrouver de la force et du pouvoir dans l’instabilité et la fermeture qui caractérisent le conflit) afin qu’elles puissent exprimer leur vécu dans la force et l’intensité qu’elles souhaitent.
C’est pour moi une confirmation et un écho à ma pratique, inspirée des travaux de Carl Rogers sur le cadre de sécurité et de confiance, permettant à la personne d’exprimer un sentiment négatif ou positif et ainsi d’accéder à des transformations personnelles.
Jusqu’ici, ma pratique était issue de ma formation à la médiation par la communication non violente, où l’intention est de favoriser la compréhension mutuelle entre les personnes en conflit, de permettre à chacune d’exprimer ses besoins et de clarifier ceux de l’autre, afin de tendre vers des solutions qui tiennent compte des besoins de chacun. Il y a une structure du dialogue autour des émotions, des besoins et des demandes. Par ma posture d’écoute, j’amène chaque partie à exprimer son vécu, à exprimer ses ressentis et à clarifier ses besoins. Dans un second temps, je fais redire à l’autre, avec ses mots, ce qu’elle a compris des propos de son interlocuteur. Ensuite, je lui donne la parole et je refais le même trajet.
Bref, par ce processus guidé, j’ai un projet, un programme pour elles. La conviction qui m’anime est qu’un accord peut intervenir dès lors qu’il y a une reconnaissance mutuelle des besoins. Et je me retrouve régulièrement à faire ce mouvement au forceps, questionnant l’impact et la violence que cela peut engendrer pour les personnes. C’est une pratique qui était souvent contre-productive à mon goût, faisant monter la tension chez une des personnes du fait de passer du temps à écouter l’autre et de devoir reformuler ce qu’elle avait compris, sans avoir encore eu l’espace pour parler.
En regardant cela, je me suis dit : «il y a une certaine forme de violence là-dedans! » La personne était tellement stimulée par ce qu’elle entendait qu’il lui était compliqué de redire ce qu’elle avait compris de l’autre.
J’avais l’impression de piloter un processus avec mes propres enjeux et de maintenir les parties dans une forme de dépendance au médiateur.
Avec l’approche transformative, je vais chercher uniquement à créer un espace de dialogue permettant l’émergence de mouvements d’empowerment des personnes. Je lâche tout projet pour elles, les laissant libres de ce qu’elles veulent aborder et de la forme qu’elles souhaitent adopter. C’est non directif, en ce sens où cela laisse le pouvoir aux personnes de mener leur conversation. Pour cela, je vais mobiliser quatre outils pour soutenir leur dialogue :
- Le reflet — c’est redire les mots avec la même intensité pour permettre à la personne de compléter ou de modifier son propos ;
- Le résumé — donner à voir les points de vue de chacun sur un thème donné ;
- Le silence — se taire pour laisser infuser et émerger d’autres idées ;
- La vérification — questionner pour vérifier que tout est OK et redonner le pouvoir sur la suite de la conversation.
Là où je suis touché par cette approche, c’est par le projet politique que j’y perçois : permettre des espaces d’expression et de dialogue dans la force et l’intensité que portent les personnes, et de leur permettre de retrouver le pouvoir de s’autodéterminer.
Cela ouvre chez moi un espace excitant. Avec le temps et ma formation de base au coté de Nathalie Simmonet puis ma pratique avec Jean-Luc Watzky, je propose déjà des médiations où je laisse les personnes s’exprimer comme elles le feraient sans moi, me contentant de faire des reformulations emphatiques et de résumer ce que j’ai compris en terme de besoins. Mais en arrière plan je pense à l’objectif qu’ils ressortent avec des pistes d’accords et des solutions.
L’approche transformative m’invite aussi à de l’humilité : je suis une ressource à l’empowerment, je n’ai pas de projet pour les personnes, juste être là, écouter, refléter, résumer, vérifier… Le bonus pour les personnes est de leur permettre un mouvement de reconnaissance mutuelle au moment où elles le décideront.
Suite à la formation que j’ai suivie avec Damien d’Ursel, ma question tourne autour de ce que je dois lâcher ou faire émerger dans ma pratique pour être plus en accord avec mes aspirations.
Si je fais un comparatif non exhaustif des deux approches:

En réalisant ce comparatif, je me rends compte que ce que j’ai envie de faire évoluer, c’est le projet et le processus que je peux avoir pour les personnes. J’ai aussi à lâcher les questions pour comprendre la situation ; à la place, je dois amplifier les reflets des mots que j’entends.
C’est aussi abandonner les reformulations « inductives » et amplifier les reflets, c’est-à-dire en rester à ce qui est dit, dans l’intensité avec laquelle cela s’exprime.
Je vois cette approche comme une bascule dans ma posture de « je suis au service d’une entente et d’un accord » à « je suis là pour permettre les mouvements d’empowerment de chacune des personnes».
Pour aller plus loin: https://www.mediationtransformative.org